Le syndrome Nokia : quand la certitude tue l’apprentissage

Un symbole de solidité… qui vacille. Dans les années 2000, Nokia domine le marché mondial du téléphone mobile. Avec plus de 40 % de parts de marché, son nom est synonyme de robustesse et d’innovation. Pourtant, en quelques années, le géant finlandais perd son avance et disparaît presque totalement du secteur. Que s’est-il passé ?

Les analyses montrent un phénomène bien connu en sciences des organisations : le groupthink, ou pensée de groupe.

  • Une culture de peur managériale : les cadres hésitaient à contredire la direction.
  • Un excès de confiance dans le système interne, malgré l’émergence évidente des smartphones tactiles.
  • Un consensus forcé qui a étouffé la critique et ralenti la capacité d’adaptation.

Résultat : quand Apple et Google redéfinissent le marché, Nokia est incapable de se réinventer à temps. (Vuori & Huy, 2016). Le piège de la réussite passée L’histoire de Nokia illustre un paradoxe fréquent : plus une organisation est reconnue pour son excellence, plus elle risque de se refermer sur elle-même.

  • Le succès nourrit la confiance… mais aussi l’aveuglement.
  • Les routines de performance deviennent des dogmes.
  • Les voix divergentes sont marginalisées.

Au lieu de rester curieuse, l’organisation se fige. Elle n’apprend plus.

Pourquoi une culture apprenante est stratégique

Peter Senge (1990), avec The Fifth Discipline, a popularisé le concept d’organisation apprenante : une entreprise capable de se remettre en question, d’apprendre en continu et de transformer ses erreurs en levier de progrès.
Dans un monde BANI (brittle, anxious, non-linear, incomprehensible), la culture apprenante n’est pas un luxe mais une nécessité stratégique :

  • Anticiper l’imprévu : en cultivant la curiosité plutôt que la certitude.
  • Encourager le feedback : voir les erreurs comme des sources d’information.
  • Favoriser la diversité de pensée : éviter l’effet Nokia du consensus stérile.
  • Transformer l’expérience en capital collectif : chaque projet devient une ressource pour les suivants.

Concrètement, comment cultiver une culture apprenante ?

Légitimer le droit à l’erreur

– Sans banaliser l’échec, valoriser les expériences comme sources de progrès.
– Exemple : instaurer des After Action Reviews systématiques après chaque projet.

Ritualiser l’apprentissage

– Intégrer des temps courts et réguliers pour partager ce qui a marché et ce qui n’a pas marché.
– Exemple : 15 minutes “leçon apprise” à la fin des réunions clés.

Donner la parole aux voix minoritaires

– Protéger et valoriser ceux qui questionnent les évidences.
– Exemple : confier un rôle de “challenger bienveillant” dans les comités stratégiques.

Encourager l’expérimentation rapide

– Favoriser les décisions réversibles, tester à petite échelle avant d’industrialiser.

Incarnation par le leadership

– Un dirigeant qui dit “j’ai eu tort” ou “j’ai appris” envoie un signal culturel puissant.

Ce qu’il faut retenir de Swissair
  • Une entreprise peut mourir non pas de faiblesse, mais de certitude excessive.La stabilité sans apprentissage devient un piège mortel

  • La culture apprenante n’est pas un concept RH : c’est un avantage compétitif vital.

Conclusion

Swissair reste un cas d’école : un modèle de solidité qui s’est effondré faute d’avoir cultivé une culture apprenante. Dans un monde complexe et incertain, la question pour chaque dirigeant est claire :
votre organisation apprend-elle plus vite que son environnement ne change ?

Références utiles :
  • Janis, I. (1972). Victims of Groupthink. Houghton Mifflin.
  • Senge, P. (1990). The Fifth Discipline. Doubleday.
  • Turner, B. A. (1976). The Organizational and Interorganizational Development of Disasters. Administrative Science Quarterly.